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Nous ne trouvons là aucune mention du jugement dernier, tel que nous l’attendons ; pas l’ombre du bonheur éternel en dehors de ce monde, ou de peines éternelles dans l’enfer. Tout est contenu dans un cercle terrestre et corporel. Comme les Prophètes, notre auteur emploie souvent le mot de jugement, mais ce jugement de Dieu c’est la ruine des nations, la vengeance et le triomphe des justes ou des Juifs, c’est en particulier le jugement du glaive[1] ; c’est moins une catastrophe totale et soudaine qu’une série de péripéties, avec tout le branle-bas accoutumé dans ces sortes de descriptions, les combats des rois et des peuples entre eux, les épées de feu, les torches ardentes tombant du ciel, le soleil obscurci, les météores brillants dans l’air, les combats aériens de fantassins et de cavaliers[2].

Il n’est pas inutile de noter en passant que ces prodiges inouïs ne sont pas les précurseurs de la fin du monde, mais les pronostics de la paix définitive. Tout aboutit à un idéal de bonheur terrestre. Le Messie vient de l’Orient ; il extermine certains ennemis, mais il fait la paix avec les autres. Il n’est pas Fils de Dieu[3] ; ce sont les Juifs qui sont les fils de Dieu[4]. C’est l’idéal d’un roi juif, mais rien ne le rattache expressément à la souche des Asmonéens. Comme dans la vision d’Hénoch, ses origines demeurent dans le vague.

Cependant il domine l’horizon des derniers temps. Le rôle du Messie personnel s’affirme de nouveau. Ceux qui l’auraient cherché dans la lignée des Asmonéens eussent évidemment dévié les anciennes espérances. Qu’elles fussent déçues par la conduite de ces princes et leur ruine, il ne s’ensuivait pas nécessairement qu’elles dussent s’évanouir ; elles pouvaient renaître plus ardentes, mais en se rattachant cette fois plus explicitement à leur point d’appui naturel, la maison et la race de David. C’est la voie que suivit le Pharisaïsme et qui trouve son expression très ferme et très nette dans les psaumes de Salomon[5]. L’apocalyptique n’y entra jamais ; elle préféra se frayer d’autres routes en spéculant sur les origines mystérieuses et surnaturelles du Messie.

  1. {{Poem|Καὶ κρινεῖ πάντας πολέμῳ θεὸς, ἠδὲ μαχαίρῃ, καὶ πυρὶ, καὶ ὑετῷ κ. τ. λ.
  2. Ἐν νεϕέλῃ δʹ ὄψεσθε μάχην πεζῶν <τε> καὶ ἱππέων (805). Cf. II Macch. v, 2.
  3. Le v. 776, υἱὸν γὰρ καλέουσι βροτοὶ μεγάλοιο θεοῖο, est regardé par Geffcken comme une interpolation chrétienne. Il est en tout cas tout à fait en dehors du contexte qui exige ναόν comme Alexandre l’avait vu, ou plutôt νηόν ou οἶκον.
  4. Υἱοὶ δʹ αὖ μεγάλοιο θεοῦ περὶ ναὸν ἅπαντες (772).
  5. On pourrait à la rigueur placer ici ces psaumes ; leur situation intermédiaire est la meilleure preuve qu’il n’y a point ici de cloisons étanches et que les mêmes idées se retrouvent sous tous les genres littéraires. Cependant ils appartiennent plutôt au rabbinisme.