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contre de ces bêtes farouches, dans l’espérance de les adoucir ; mais, hélas ! que pouvait ma faible voix, que pousser quelques sons que le tumulte, la diversité des langues, plus encore la férocité des cœurs rendaient inintelligibles ? Du moins les reproches, les reproches les plus amers ne furent-ils pas épargnés à quelques Abnakis qui se trouvèrent sur mon chemin ; l’air vif qui animait mes paroles, les amena à des sentimens d’humanité. Confus et honteux ils se séparèrent de la troupe meurtrière, en jetant les cruels instrumens dont ils se disposaient à faire usage. Mais qu’était-ce que quelques bras de moins sur deux mille déterminés à frapper sans pitié ? Voyant l’inutilité des mouvements que je ma donnais, je me déterminai à me retirer, pour n’être pas témoin de la sanglante tragédie qui allait se passer. Je n’eus pas fait quelques pas, qu’un sentiment de compassion me rappela sur le rivage, d’où je jetai les yeux sur ces malheureuses victimes dont on préparait le sacrifice. Leur état renouvela ma sensibilité. La frayeur qui les avait saisis, leur laissait à peine assez de force pour se soutenir ; leurs visages consternés et abattus étaient une vraie image de la mort. C’était fait de leur vie ; en effet, ils allaient expirer sous une grêle de coups, si leur conservation ne fût venue du sein même de la barbarie, et si la sentence de mort n’eût été révoquée par ceux mêmes qui, ce semble, devaient être les premiers à la prononcer. L’officier Français qui commandait dans la barque, s’était aperçu des