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LE MÉCANISME DU TOUCHER

déterminent en particulier cette variété de timbre des sons successifs, cette harmonie de la sonorité.

Nous avons remarqué que la variabilité des sensations obtenues par des contacts intentionnellement diversifiés exerce une influence stimulante sur l’ouïe, et développe les représentations visuelles du clavier rendues de plus en plus conscientes pour l’exécutant.

Ces représentations visuelles sont un des signes distinctifs du musicien.

Liszt ne regardait jamais le clavier en jouant. À quelques exceptions près, il cherchait vainement à communiquer cette habitude à ses élèves. Antoine Rubinstein tenait souvent les yeux fermés pendant qu’il jouait. Quant à Mozart, on rapporte de lui le fait qu’étant enfant, il jouait avec une virtuosité impeccable même lorsque les touches de l’instrument étaient rendues invisibles par un tissu étendu sur le clavier.

L’influence exercée par la localisation des contacts sur les représentations visuelles n’a rien de surprenant, car si l’on groupe par exemple la tonique, l’octave, la tierce, la quinte avec ou sans septième, de manière que, indépendamment des différences de tonalité, chaque intervalle éveille par sa localisation une sensation distincte chez l’exécutant, ces sensations prennent une stabilité qui favorise la conception visuelle de l’ensemble des intervalles. Cette hypothèse se confirme par un fait que nous avons eu l’occasion de constater souvent, c’est que les élèves familiarisés avec ces subtiles modifications des contacts fixent les regards avec un intérêt croissant