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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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plus petits des petits. Il entra alors dans le vestibule, et aperçut son ancien compagnon Abou-Sir assis derrière la caisse, dodu, frais et souriant. Et il eut même quelque peine à le reconnaître, tant les anciennes cavités de son visage étaient maintenant remplies d’une graisse de bonne nature, et tant son teint était brillant et sa mine avantagée de beaucoup ! À cette vue, le teinturier, bien que surpris et bouleversé, feignit une grande joie et, avec une impudence extrême, il s’avança vers Abou-Sir, qui déjà s’était levé en son honneur, et lui dit d’un ton plein d’amical reproche : « Hé quoi, ya Abou-Sir ! Est-ce là la conduite d’un ami et le procédé d’un homme qui connaît les bonnes manières et la galanterie ? Tu sais que je suis devenu le teinturier en titre du roi et un des personnages les plus riches et les plus importants de la ville, et tu ne viens jamais me voir ni prendre de mes nouvelles ! Et tu ne te demandes même pas : « Qu’est donc devenu mon ancien camarade Abou-Kir ? » Et moi j’ai eu beau te demander partout et envoyer de tous les côtés mes esclaves à ta recherche, dans les khâns et les boutiques, nul n’a pu me renseigner à ton sujet ni me mettre sur tes traces ! » À ces paroles, Abou-Sir hocha la tête avec une grande tristesse, et répondit : « Ya Abou-Kir, tu oublies donc le traitement que tu m’as fait subir, quand je suis venu à toi, et les coups que tu m’as donnés et l’opprobre dont tu m’as couvert devant les gens en m’appelant voleur, traître et misérable ? » Et Abou-Kir se montra bien formalisé et s’écria : « Que dis-tu là ? Serait-ce toi cet homme que j’ai battu ? » Il répondit : « Mais oui, c’était