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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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pièces d’étoffes blanches en soie, en laine et en lin pour qu’il les teignît selon son art. Et Abou-Kir les teignit de différentes manières en leur donnant soit des couleurs pures de tout mélange, soit des couleurs composées, de telle façon qu’il n’y eût pas une seule étoffe qui ressemblât à l’autre ; puis, pour les faire sécher, il les étendit sur des cordes qui partaient de sa boutique et allaient d’un bout de la rue à l’autre bout ; et les étoffes colorées, en séchant, s’avivaient merveilleusement et produisaient sous le soleil un spectacle splendide.

Lorsque les habitants de la ville virent cette chose si nouvelle pour eux, ils furent ébahis ; et les marchands fermèrent leurs boutiques pour accourir et mieux voir, et les femmes et les enfants poussaient des cris d’admiration, et les uns et les autres demandaient à Abou-Kir : « Ô maître teinturier, quel est le nom de cette couleur-là ? » Et il leur répondait : « Ceci est du rouge grenat ! ceci est du vert d’huile ! ceci est du jaune cédrat ! » Et il leur nommait toutes les couleurs, au milieu des exclamations et des bras levés pour attester une admiration sans bornes.

Mais soudain le roi, qui avait été averti que les étoffes étaient prêtes, déboucha à cheval au milieu du souk, précédé de ses coureurs qui écartaient la foule, et suivi de son escorte d’honneur. Et à la vue des étoffes chatoyantes de tant de couleurs sous la brise qui les faisait onduler dans l’air incandescent, il fut ravi à la limite du ravissement et resta immobile longtemps, sans respiration, avec les yeux tout blancs de dilatation. Et les chevaux eux-mêmes, loin