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les mille nuits et une nuit

drachmes, sans un cuivre de rabais ! » Abou-Kir reprit : « Soit ! mais je ne veux pas le faire teindre en bleu. C’est en rouge que je le veux ! » L’autre demanda : « Dans quelle langue me parles-tu ? Et qu’entends-tu par rouge ? Est-ce qu’il y a de la teinture rouge ? » Abou-Kir, stupéfait, dit : « Alors teins-le-moi en vert ! » Il demanda : « Qu’est-ce que la teinture verte ? » Il dit : « Alors en jaune ! » Il répondit : « Je ne connais pas cette teinture-là ! » Et Abou-Kir continua à lui énumérer les couleurs des diverses teintures, sans que le maître teinturier comprît de quoi il s’agissait. Et comme Abou-Kir lui demandait si les autres teinturiers étaient aussi ignorants que lui, il lui répondit : « Nous sommes dans cette ville quarante teinturiers qui formons une corporation fermée à tous les autres habitants ; et notre art se transmet de père en fils, à la mort seulement de l’un de nous. Quant à employer une autre teinture que la bleue, cela nous ne l’avons jamais entendu ! »

À ces paroles du teinturier, Abou-Kir dit : « Sache, ô maître du métier, que moi aussi je suis teinturier et je sais teindre les étoffes non seulement en bleu, mais en une infinité de couleurs que tu ne soupçonnes pas. Prends-moi donc à ton service, moyennant salaire, et je t’enseignerai tous les détails de mon art, et tu pourras alors te glorifier de ton savoir devant toute la corporation des teinturiers ! » Il répondit : « Nous ne pouvons jamais accepter d’étranger dans notre corporation et notre métier ! » Abou-Kir demanda : « Et si j’ouvrais pour mon propre compte une boutique de teinturier ? »