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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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ses, un fait étrange le frappa particulièrement. Il remarqua, en effet, que tous les habitants, sans exception, étaient habillés pareillement d’étoffes uniformes quant à leurs couleurs : on ne voyait que du bleu et du blanc, pas autre chose. Même dans les boutiques des marchands il n’y avait que des étoffes blanches et des étoffes bleues, pas une couleur de plus. Chez les vendeurs de parfums, il n’y avait que du blanc et du bleu ; et le kohl lui-même était visiblement bleu. Chez les marchands de sorbets, il n’y avait que des sorbets blancs dans les carafes et point de rouges ou de roses ou de violets. Et cette découverte l’étonna extrêmement. Mais là où sa stupéfaction parvint à ses extrêmes limites, ce fut à la porte d’un teinturier : dans les cuves du teinturier il ne vit, en effet, que de la teinture bleu-indigo, sans plus. Alors, ne pouvant plus maîtriser sa curiosité et son étonnement, Abou-Kir entra dans la boutique, et tira de sa poche un mouchoir blanc qu’il tendit au teinturier en lui disant : « Pour combien, ô maître du métier, me teindras-tu ce mouchoir ? Et quelle couleur lui donneras-tu ? » Le maître teinturier répondit : « Je ne te prendrai, pour te teindre ce mouchoir, que la somme de vingt drachmes ! Quant à sa couleur, elle sera bleu-indigo, sans aucun doute ! » Abou-Kir, suffoqué de la demande exorbitante, s’écria : « Comment ? tu me demandes vingt drachmes pour teindre ce mouchoir, et encore en bleu ? Mais dans mon pays ça ne coûte qu’un demi-drachme ! » Le maître teinturier répondit : « Dans ce cas retourne le teindre dans ton pays, mon bonhomme ! Ici nous ne le pouvons à moins de vingt