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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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cher du soleil, le barbier rentrait au khân pour servir et nourrir le teinturier, après le gain que lui octroyaient le destin de la journée et son rasoir ; et le teinturier engloutissait galettes, concombres, oignons frais et brochettes de kabab, sans fatigue aucune pour son estomac chéri ; et le barbier avait beau lui vanter la beauté sans pareille de cette ville inconnue, et l’inviter à l’accompagner à une promenade dans les souks ou les jardins, Abou-Kir répondait invariablement : « Le vertige marin me tient encore la tête ! » et, après avoir roté divers rots et peté divers pets de diverses qualités, il se renfonçait dans son pesant sommeil. Et l’excellent et honnête barbier Abou-Sir se gardait bien de faire le moindre reproche à son crapuleux compagnon, ou de l’ennuyer par des plaintes ou des discussions.

Mais, au bout de ces quarante jours, le barbier, ce pauvre, tomba malade et, ne pouvant plus sortir pour vaquer à son travail, pria le portier du khân de soigner son compagnon Abou-Kir et de lui acheter tout ce dont il pouvait avoir besoin. Mais, quelques jours après, l’état du barbier empira si gravement que le pauvre perdit l’usage de ses sens et devint inerte et comme mort. Aussi, comme il n’était plus là pour nourrir le teinturier ou lui faire acheter le nécessaire, celui-ci finit par sentir cruellement la brûlure de la faim et fut bien obligé de se lever pour chercher de droite et de gauche quelque chose à se mettre sous la dent. Mais il avait déjà tout nettoyé dans le logement, et il ne trouva absolument rien à manger ; alors il fouilla dans les vêtements de son compagnon étendu inerte sur le sol, y trouva une