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histoire de khalife et du khalifat
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seigneur la Tulipe, donne-moi mon dû pour que je m’en aille ! » Et l’eunuque, à cause de la présence de Giafar, fut très confus de cette apostrophe, et ne voulut point répondre. Au contraire, il se mit à parler avec plus d’animation, pour ne point attirer de ce côté-là l’attention du grand-vizir ; mais ce fut peine perdue ! Car Khalife s’approcha davantage et, d’une voix formidable, s’écria, en lui faisant de grands gestes : « Ô insolvable vaurien, qu’Allah confonde les gens de mauvaise foi, et tous ceux qui dépouillent les pauvres de leur bien ! » Puis il changea de ton, et, ironique, lui cria : « Je me mets sous ta protection, ô mon seigneur Ventre-creux ! Et je te supplie de me donner mon dû pour que je puisse m’en aller. » Et l’eunuque fut à la limite de la confusion, car Giafar, cette fois, avait vu et entendu ; mais comme il ne saisissait pas encore de quoi il s’agissait, il demanda à l’eunuque : « Qu’a-t-il donc, ce pauvre homme ? Et qui a pu le frustrer de son dû ? » Et l’eunuque répondit : « Ô mon seigneur, ne sais-tu pas qui est cet homme-là ? » Giafar dit : « Par Allah ! d’où le connaîtrais-je, puisque c’est la première fois que je le vois ? » L’eunuque dit : « Ô notre seigneur, c’est justement le pêcheur dont nous nous sommes hier disputé les poissons pour les porter au khalifat ! Et moi, comme je lui avais promis de l’argent pour les deux derniers poissons qui lui restaient, je lui ai dit de venir aujourd’hui me trouver pour se faire payer son dû ! Et je voulais le payer tout à l’heure, quand j’ai été obligé d’accourir entre tes mains ! Et c’est pourquoi le bonhomme, impatienté, m’apostrophe maintenant de cette façon-là ! »