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les mille nuits et une nuit

ner passer la nuit près d’Abou-Kir qui ronflait déjà de toutes ses ouvertures, en faisant autant de vacarme que l’eau heurtant le bateau.

Le lendemain et les jours suivants le barbier Abou-Sir continua à raser les passagers et les marins, en gagnant provendes et provisions, dînant le soir avec le capitaine, et servant en toute générosité son compagnon qui, pour sa part, se contentait de dormir, ne se réveillant que pour manger ou satisfaire la nécessité, et cela durant vingt jours de navigation, jusqu’à ce que, au matin du vingt-unième jour, le navire fût entré dans le port d’une ville inconnue.

Alors Abou-Kir et Abou-Sir descendirent à terre et allèrent louer dans un khân un petit logement que se hâta de meubler le barbier avec une natte neuve achetée au souk des nattiers et deux couvertures de laine. Après quoi le barbier, ayant pourvu à tous les besoins du teinturier, qui continuait à se plaindre du vertige, le laissa endormi dans le khân, et s’en alla par la ville, chargé de son attirail, exercer sa profession au coin des rues, en plein air, en rasant soit des portefaix, soit des âniers, soit des balayeurs, soit des vendeurs ambulants, soit même des marchands assez importants attirés par son rasoir savant. Et il rentra le soir pour aligner les mets devant son compagnon qu’il trouva endormi et qu’il ne réussit à réveiller qu’en lui faisant sentir le fumet des brochettes d’agneau. Et cet état de choses dura de la sorte, Abou-Sir se plaignant toujours d’un reste de vertige marin, quarante jours pleins ; et chaque jour, une fois à midi et une fois au cou-