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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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… Et, le voyant seul, le capitaine lui demanda : « Où est ton compagnon ? » Il répondit : « Ô mon maître, il a le vertige de la mer et il est tout étourdi ! » Le capitaine dit : « Cela n’a aucune gravité. Ce vertige lui passera ! Assieds-toi là près de moi, et au nom d’Allah ! » Et il prit une assiette et la remplit de toutes les couleurs de mets avec si peu de parcimonie que chaque portion pouvait bien suffire à dix personnes. Et lorsque le barbier eut fini de manger, le capitaine lui tendit une seconde assiette en lui disant : « Porte cette assiette à ton compagnon ! » Et Abou-Sir se hâta d’aller porter l’assiette pleine à Abou-Kir qu’il trouva en train de moudre avec ses crocs et de travailler des mâchoires comme un chameau, tandis que les morceaux énormes continuaient à s’engouffrer dans sa gueule les uns sur les autres, rapidement. Et il lui dit : « Ne t’avais-je pas dit de ne pas fermer ton appétit avec les provisions ? Regarde ! Voici les choses admirables que t’envoie le capitaine. Que dis-tu de ces excellentes brochettes de kabab d’agneau, qui viennent de la table de notre capitaine ? » Abou-Kir, avec un grognement, dit : « Donne ! » Et il se précipita sur l’assiette que lui tendait le barbier, et il se mit à tout dévorer des deux mains avec la voracité du loup ou la rage du lion ou la férocité du vautour qui fond sur les pigeons ou la furie de l’affamé qui a failli finir de faim et ne fait point de façons pour se farcir avec fougue. Et, en quelques instants, il la nettoya et la lécha pour la jeter vide absolument. Alors le barbier ramassa l’assiette et la porta aux gens du bord, pour aller boire ensuite quelque chose avec le capitaine, puis retour-