Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 9, trad Mardrus, 1902.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.
histoire de khalife et du khalifat
271

dait que par son entremise ou après avoir passé par ses mains ou avoir été soumis à son expertise. Or, un jour d’entre les jours qu’Ibn Al-Kirnas était assis dans sa boutique, il vit venir chez lui le chef des courtiers tenant par la main une adolescente dont jamais spectateur n’avait admiré la pareille, tant elle était à la limite de la beauté, de l’élégance, de la finesse et de la perfection. Et cette adolescente, outre les charmes qu’elle avait en elle, connaissait toutes les sciences, les arts, la poétique, le jeu des instruments d’harmonie, le chant et la danse. Aussi Ibn Al-Kirnas n’hésita pas à l’acheter, séance tenante, pour cinq mille dinars d’or ; et, après l’avoir habillée de vêtements pour mille dinars, il alla la présenter à l’émir des Croyants. Et elle passa la nuit chez lui. Et il put de la sorte mettre à l’épreuve, par lui-même, ses talents et ses connaissances variées. Et il la trouva experte en toutes choses et n’ayant point son égale dans l’époque. Elle s’appelait Force-des-Cœurs, et elle était brune et fraîche de peau.

Aussi l’émir des Croyants, enchanté de sa nouvelle esclave, envoya-t-il le lendemain à Ibn Al-Kirnas dix mille dinars comme prix d’achat. Et il ressentit pour l’adolescente une passion si violente, et son cœur fut tellement subjugué, qu’il négligea pour elle Sett Zobéida, sa cousine, fille d’Al-Kassim ; et il délaissa toutes les favorites ; et il resta un mois entier enfermé chez elle, ne sortant que pour la prière du vendredi et rentrant ensuite en toute hâte. Aussi les seigneurs du royaume trouvèrent-ils la chose trop grave pour durer plus longtemps, et allèrent-ils exposer leurs doléances au grand-vizir