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les mille nuits et une nuit

Alors il se souvint des paroles du singe et de la recommandation qu’il lui avait faite ; et il s’en revint chez le juif et lui jeta l’or avec mépris. Et le juif lui demanda : « Qu’as-tu donc, ô Khalife, et que demandes-tu ? Veux-tu changer tes dinars d’or en drachmes d’argent ? » Il répondit : « Je ne veux ni tes drachmes ni tes dinars, mais je veux que tu me rendes le poisson du pauvre monde ! »

À ces paroles, le juif se fâcha, et cria et dit : « Comment, ô pêcheur ! Tu m’apportes un poisson qui ne vaut pas un dinar, et je t’en donne cinq dinars, et tu n’es pas satisfait ! Es-tu fou ? Ou bien veux-tu enfin me dire à combien tu veux me le céder ? » Khalife répondit : « Je ne veux le céder ni pour de l’argent, ni pour de l’or ; mais je veux le vendre moyennant deux paroles, seulement ! » Lorsque le juif eut entendu qu’il était question de deux paroles, il crut qu’il s’agissait des deux paroles qui servent de formule pour la profession de foi de l’Islam, et que le pêcheur lui demandait, pour un poisson, d’abjurer sa religion ! Aussi, de colère et d’indignation, ses yeux saillirent jusqu’au sommet de sa tête, et sa respiration s’arrêta, et sa poitrine se creusa, et ses dents grincèrent ; et il s’écria : « Ô rognure d’ongle des musulmans ! tu veux donc me séparer de ma religion pour ton poisson, et me faire abjurer ma foi et ma loi, celles qu’avant moi professaient mes pères ? » Et il héla ses serviteurs qui accoururent entre ses mains, et il leur cria : « Malheur ! Sus à ce visage de poix, et prenez-le-moi par la nuque et appliquez-lui une bastonnade soignée qui lui mette la peau en lambeaux ! Et ne l’épargnez pas…