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les mille nuits et une nuit

mère de mes enfants est une fille des Francs, et je l’ai achetée comme prisonnière de guerre au temps de Saladin le Victorieux, après la bataille de Hattîn qui nous délivra pour toujours des chrétiens étrangers, usurpateurs du royaume de Jérusalem. Mais il y a bien longtemps de cela, car c’était aux jours de ma jeunesse ! » Et moi je lui dis : « Alors, ô cheikh, nous te prions de nous favoriser de cette histoire ! » Et le fellah dit : « De tout cœur amical et comme hommage dû aux hôtes ! Car mon aventure avec mon épouse, la fille des Francs, est bien étrange ! » Et il nous conta :


« Vous devez savoir que, de mon métier, je suis cultivateur de lin ; mon père et mon grand-père semaient le lin avant moi, et, de par ma souche et origine, je suis un fellah d’entre les fellahs de ce pays-ci. Or, une année, il se trouva, par la bénédiction, que mon lin semé, poussé, nettoyé et venu à point de perfection, se montait à la valeur de cinq cents dinars d’or. Et, comme je l’offrais sur le marché et ne trouvais point mon profit, les marchands me dirent : « Va porter ton lin au château d’Acre, en Syrie, où tu le vendras avec de très gros bénéfices ! » Et moi, les ayant écoutés, je pris mon lin et m’en allai dans la ville d’Acre, qui, en ce temps-là, était entre les mains des Francs. Et, effectivement, je commençai par une bonne vente, en cédant la moitié de mon lin à des courtiers, avec crédit de six mois ; et je gardai le reste et séjournai dans la ville pour le vendre au détail, avec des bénéfices immenses.