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les mille nuits et une nuit

les mains. Et il saisit entre ses doigts la plume d’oie taillée, et en toucha légèrement les cordes harmonieuses.

Et, dès les premiers sons, je reconnus que ce mendiant aveugle était de beaucoup le meilleur musicien de notre temps. Mais quel ne fut point mon émoi et mon admiration quand je l’entendis exécuter un morceau selon un mode qui m’était tout à fait inconnu, bien que l’on ne me considérât point comme un ignorant dans l’art ! Puis, d’une voix à nulle autre pareille, il chanta ces couplets :

« À travers l’ombre épaisse, le bien-aimé sortit de sa maison, et vint me trouver au milieu de la nuit.

Et avant de me souhaiter la paix, je l’entendis frapper et me dire : « Le bien-aimé peut-il franchir la porte de son ami ? »

Lorsque nous entendîmes ce chant du vieil aveugle, moi et mon amie nous nous regardâmes, à la limite de la stupéfaction. Puis elle devint rouge de colère et me dit, de façon à ce que je fusse seul à l’entendre : « Ô perfide ! n’as-tu pas honte, pendant les quelques instants où tu es allé ouvrir la porte, de m’avoir trahie en racontant ma visite à ce vieux mendiant ! En vérité, ô Ishak, je ne croyais pas ta poitrine d’assez faible capacité pour ne pas contenir un secret une heure durant ! Opprobre aux hommes qui te ressemblent ! » Mais moi je lui jurai mille fois que je n’étais pour rien dans l’indiscrétion, et lui dis : « Je te jure sur la tombe de mon père Ibrahim, que je n’ai rien dit de cela à ce vieil aveugle ! » Et mon amie voulut bien me croire, et finit par se laisser