Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 9, trad Mardrus, 1902.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
la soirée d’hiver d’ishak de mossoul
233

rue. Veux-tu donc aller voir si à ta porte ne passe point quelqu’un qui puisse me satisfaire ? » Et moi, pour ne point la désobliger, et bien que je fusse persuadé que par une nuit pareille il n’y avait point de passants dans la rue, j’allai ouvrir ma porte d’entrée et je passai ma tête par l’entrebâillement. Et, à ma grande surprise, je vis, appuyé sur son bâton contre la muraille d’en face, un vieux mendiant qui disait, se parlant à lui-même : « Quel vacarme fait cette tempête ! Le vent disperse ma voix, et empêche les gens de m’entendre ! Malheur au pauvre aveugle ! S’il chante, on ne l’écoute pas ! Et s’il ne chante point, il meurt de faim ! » Et, ayant dit ces paroles, le vieil aveugle se mit à tâtonner de son bâton sur le sol et contre le mur, cherchant à continuer son chemin.

Alors moi, étonné et charmé à la fois de cette rencontre fortuite, je lui dis : « Ô mon oncle, sais-tu donc chanter ? » Il répondit : « Je passe pour savoir chanter. » Et moi je lui dis : « En ce cas, ô cheikh, veux-tu finir ta nuit avec nous, et nous réjouir de ta compagnie ? » Il me répondit : « Si tu le désires, prends-moi la main, car je suis aveugle des deux yeux ! » Et je lui pris la main, et, l’ayant introduit dans la maison, dont je fermai soigneusement la porte, je dis à mon amie : « Ô ma maîtresse, je t’amène un chanteur qui, en plus, est aveugle ! Il pourra nous donner du plaisir sans voir ce que nous faisons. Et tu n’auras pas à te gêner, ou à te voiler le visage. » Elle me dit : « Hâte-toi de le faire entrer ! » Et je le fis entrer.

Je commençai d’abord par le faire s’asseoir devant