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histoire d’abou-kir et d’abou-sir
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mon voisin, ce barbier calamiteux ! » À ces paroles, si le client était un brave homme d’entre les personnes tranquilles, il se contentait de répondre : « Allah m’en dédommagera ! » et il s’en allait. Mais si le client était un homme irritable, il entrait en fureur et chargeait le teinturier d’injures et en venait avec lui aux coups et à la dispute publique dans la rue, au milieu de l’attroupement général. Et malgré cela, et en dépit même de l’autorité du kâdi, il ne parvenait guère à recouvrer ses effets, vu que les preuves manquaient et que, d’un autre côté, la boutique du teinturier ne renfermait rien qui pût être saisi et vendu. Et ce commerce réussit ainsi et eut une assez longue durée, le temps que tous les marchands du souk et tous les habitants du quartier fussent dupés l’un après l’autre. Et le teinturier Abou-Kir vit alors son crédit irrémédiablement perdu et son commerce anéanti, attendu qu’il n’y avait plus personne qui pût encore être dépouillé. Et il devint l’objet de la méfiance générale, et on le citait en proverbe quand on voulait parler des friponneries des gens de mauvaise foi.

Lorsque le teinturier Abou-Kir se vit réduit à la misère, il alla s’asseoir devant la boutique de son voisin le barbier Abou-Sir, et le mit au courant du mauvais état de ses affaires, et lui dit qu’il ne lui restait plus qu’à mourir de faim. Alors le barbier Abou-Sir, qui était un homme qui marchait dans la voie d’Allah, et qui, bien que pauvre, était consciencieux et honnête, compatit à la misère d’un plus pauvre que lui, et répondit : « Le voisin se doit à son voisin ! Reste ici et mange et bois et use des biens d’Allah,