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les mille nuits et une nuit

soin d’argent pour l’achat des couleurs, et il ne rendait jamais les étoffes qu’on lui apportait à teindre, bien au contraire ! Non seulement il dépensait l’argent qu’il avait touché d’avance, en mangeant et en buvant tout à son aise, mais il vendait en secret les étoffes qu’on déposait chez lui, et se payait de la sorte toute espèce de jouissances et d’amusements de première qualité. Et quand les clients revenaient pour réclamer leurs effets, il trouvait moyen de les amuser, et de les faire attendre indéfiniment, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre. Ainsi il disait, par exemple : « Par Allah ! ô mon maître, hier mon épouse a accouché, et j’ai été obligé de faire des courses à droite et à gauche, toute la journée. » Ou bien encore, il disait : « Hier j’ai eu des invités, et j’ai été tout le temps occupé de mes devoirs d’hospitalité à leur égard ; mais si tu reviens dans deux jours, tu trouveras ton étoffe toute prête dès l’aube. » Et il traînait les affaires de son monde en longueur, jusqu’à ce que, impatienté, quelqu’un s’écriât : « Voyons ! veux-tu enfin me dire la vérité au sujet de mes étoffes ? Rends-les-moi ! Je ne veux plus les faire teindre ! » Alors il répondait : « Par Allah ! je suis au désespoir ! » Et il levait les mains au ciel, en faisant toutes sortes de serments qu’il allait dire la vérité. Et s’étant lamenté et frappé les mains l’une contre l’autre, il s’écriait : « Imagine-toi, ô mon maître, qu’une fois les étoffes teintes, je les avais mises à sécher bien tendues sur les cordes devant ma boutique, et je m’étais absenté un instant pour aller pisser ; quand je revins elles avaient disparu, volées par quelque chenapan du souk, peut-être même par