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histoire de fleur-de-grenade…
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rait. Donc, une nuit que la reine ma mère et mon frère Saleh s’étaient endormis de bonne heure, et que notre palais était plongé dans le silence sous-marin, je me glissai hors de ma chambre et, montant à la surface de l’eau, j’allai m’étendre sur le rivage d’une île, au clair de lune. Et là, gagnée par la fraîcheur délicieuse qui tombait des étoiles, et caressée par la brise de la terre, je me laissai gagner par le sommeil. Et soudain je me réveillai, en sentant quelque chose s’abattre sur moi, et je me vis en la possession d’un homme qui me chargea sur son dos et, malgré mes cris et mes protestations, me transporta dans sa maison où il m’étendit sur le dos et voulut abuser de moi par la force. Or moi, voyant que cet homme était laid et sentait mauvais, je ne voulus point me laisser faire, et, rassemblant toutes mes forces, je lui appliquai sur la figure un violent coup de poing qui l’envoya rouler à terre à mes pieds, et je me jetai sur lui et lui administrai une telle raclée qu’il ne voulut plus me garder chez lui et me conduisit en toute hâte au souk, où il me cria aux enchères et me vendit à ce marchand auquel tu m’as achetée toi-même, ô roi ! Et, comme ce marchand était un homme plein de conscience et de droiture, il ne voulut point à son tour, me voyant si jeune, abuser de ma virginité ; et il me fit voyager avec lui et me conduisit entre tes mains. Et telle est mon histoire ! Or, moi, en entrant ici, j’étais bien résolue à ne point me laisser faire ; et j’étais décidée, à la première violence de ta part, à me jeter à la mer, par les fenêtres du pavillon, pour aller retrouver ma mère et mon frère. Et j’ai gardé le silence par fierté,