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histoire de fleur-de-grenade…
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Tout cela ! Et il ne savait plus comment interpréter ce silence et ce mutisme. Et il n’espérait plus arriver à lui délier la langue et à s’entretenir avec elle.

Or, un jour d’entre les jours, le roi était, selon sa coutume, assis auprès de sa belle et insensible esclave, et son amour pour elle était plus violent que jamais, et il lui disait : « Ô désir des âmes, ô cœur de mon cœur, ô lumière de mes yeux, ne sais-tu donc l’amour que j’éprouve pour toi, et que j’ai délaissé pour ta beauté mes favorites, mes concubines et les affaires de mon royaume, et que je l’ai fait avec plaisir, et que je suis d’ailleurs loin de m’en repentir ? Ne sais-tu que je t’ai gardée pour mon seul lot et mon unique agrément, de tous les biens de ce monde ? Et voici plus d’un an que j’allonge la patience de mon âme sur la cause de ce mutisme et de cette insensibilité que je n’arrive point à deviner ! Si tu es réellement muette, fais-le moi du moins comprendre par signes, afin que je laisse tout espoir de t’entendre jamais, ô ma bien-aimée ! Sinon, puisse Allah attendrir ton cœur et, dans sa bonté, t’inspirer de cesser enfin ce silence que je ne mérite pas ! Et si cette consolation doit m’être toujours refusée, fasse Allah que tu sois enceinte de moi et me donnes un fils chéri qui puisse me succéder sur le trône que m’ont légué mes pères et mes ancêtres ! Hélas ! ne vois-tu pas que je vieillis solitaire et sans postérité, et que bientôt je ne vais plus pouvoir même espérer féconder de jeunes flancs, cassé que je serai par la tristesse et les ans ? Hélas ! hélas ! ô toi, si tu éprouves pour moi le plus léger senti-