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les mille nuits et une nuit

suite ces gens construire un navire où ils s’embarquèrent pour disparaître vers la haute mer. Peu de temps après ils revinrent, mais moins nombreux qu’à l’aller, mirent en pièces le navire et s’en retournèrent en leur voie par où ils étaient venus. Aussi je pense que ceux qui sont partis sans revenir sont précisément ceux que tu cherches, ô Délice-du-Monde ! Je comprends donc l’intensité de ton chagrin, et je t’excuse ! Sache pourtant qu’on ne peut trouver un amoureux qui n’ait éprouvé les peines d’amour ! » Et l’ermite récita ces vers :

« Ô Délice-du-Monde, tu me crois sans souci et le cœur plein de quiétude,

« Et tu ne sais point que l’ardeur de la passion me plie comme un linge et me déplie.

« J’ai connu l’amour dès mon enfance première,

« J’ai connu les transports d’amour alors que je tétais encore.

« J’ai longtemps pratiqué l’amour, si longtemps que j’en devins célèbre,

« Et, si tu l’interroges à mon sujet, il te dira qu’il me connaît.

« J’ai bu la coupe de l’amour, et j’en ai goûté la langueur amère.

« Je ne suis plus qu’une apparence de moi-même, tant mon corps a dépéri.

« J’étais plein de force autrefois ; maintenant ma vigueur a disparu

« Et l’armée de ma patience s’est effondrée sous les glaives des regards.

« Ne crois point arriver à l’amour sans épreuves,