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les mille nuits et une nuit

« … Suis-moi, et tu vas voir ! » Il s’approcha alors de l’homme par derrière, et, tout doucement, défit le licou de l’âne, se le passa à lui-même, sans que l’homme se fût aperçu du changement, et marcha comme une bête de somme, tandis que son compagnon s’éloignait avec l’âne mis en liberté.

Lorsque le larron se fut assuré que l’âne était déjà loin, il s’arrêta brusquement dans sa marche ; et l’homme, sans se retourner, essaya en tirant sur lui de l’obliger à marcher. Mais, sentant de la résistance, l’homme se retourna pour objurguer l’âne, et vit le larron pris dans le licou à la place de la bête, et l’air bien humble et avec des yeux qui imploraient. Il fut si stupéfait qu’il resta immobile en face du larron ; et, au bout d’un moment, il put enfin articuler quelques syllabes et demander : « Quelle chose es-tu ? » Le larron, des larmes plein la voix, s’écria : « Je suis ton âne, ô mon maître ! Mais mon histoire est étonnante ! Sache, en effet, que j’étais dans ma jeunesse un vaurien adonné à toutes sortes de vices honteux. Un jour, je rentrai tout à fait ivre et dégoûtant chez ma mère, qui, à ma vue, ne put guère maîtriser son ressentiment, m’accabla de reproches et voulut me chasser de la maison. Mais moi je la repoussai et même, dans mon ivresse, je la frappai. Alors, indignée de ma conduite à son égard, elle me maudit, et l’effet de sa malédiction fut que je changeai aussitôt de forme et devins un âne. Alors toi, ô mon maître, tu m’as acheté au souk des ânes pour cinq dinars, et tu m’as gardé tout ce temps-là et tu t’es servi de moi comme bête de somme, et tu m’aiguillonnais le derrière, quand, fourbu, je refu-