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les mille nuits et une nuit

dogmes, je sais les distinguer d’avec les traditions et différencier leur degré d’authenticité ; je ne suis point étrangère à la logique, à l’architecture et à la philosophie, non plus qu’à l’éloquence, au beau langage, à la rhétorique et aux règles des vers, que je sais ordonner et cadencer en n’omettant aucun tour de force dans leur construction ; je sais les faire simples et coulants, comme aussi compliqués et enchevêtrés pour le plaisir des délicats seulement ; et si j’y mets parfois des obscurités, c’est pour mieux conserver l’attention et charmer l’esprit qui arrive à en dénouer la trame subtile et fragile ; enfin j’ai appris beaucoup de choses, et j’ai retenu tout ce que j’ai appris. Avec tout cela je sais parfaitement chanter, et danser comme un oiseau, et jouer du luth et de la flûte, de même que je manie tous les instruments à cordes, et cela sur plus de cinquante modes différents. Aussi, quand je chante et que je danse, ceux-là se damnent qui me voient et m’entendent ; si, habillée et parfumée, je marche en me balançant, je tue ; si je secoue ma croupe, je renverse ; si je cligne de l’œil, je transperce ; si je secoue mes bracelets, j’aveugle ; si je touche, je donne la vie, et, si je m’éloigne, je fais mourir ! Je suis versée dans tous les arts, et j’ai poussé dans ce sens mon savoir jusqu’à des limites telles que seuls pourraient arriver à en distinguer l’horizon les très rares dont les années auraient macéré dans l’étude de la sagesse ! »

Lorsque le khalifat Haroun Al-Rachid eut entendu ces paroles, il fut étonné et charmé de trouver tant d’éloquence à la fois et de beauté, tant de savoir et de jeunesse en celle qui se tenait devant lui, les