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les mille nuits et une nuit

d’une soudaine affection : « Mon fils, te peux être tranquille au sujet de ces dix mille dinars que tu dois à l’ancien mari de ton épouse. Je suis le chef de la tekké des derviches de Bagdad qui compte quarante membres ; nous sommes, grâce à Allah, dans l’aisance ; et dix mille dinars pour nous ne sont point un sacrifice. Je te promets donc de te les faire parvenir avant dix jours. Mais va prier ton épouse de nous chanter quelque chose, de derrière le rideau, pour nous exalter l’âme. Car, mon fils, la musique sert aux uns de dîner, aux autres de remède et à d’autres d’éventail : pour nous elle remplit les trois rôles à la fois. »

Grain-de-Beauté ne se fit pas prier davantage ; et son épouse Zobéida voulut bien consentir à chanter pour les derviches. Aussi leur joie fut-elle extrême ; et ils passèrent une nuit délicieuse, tantôt à écouter le chant et à répondre : « Ah ! ah ! » de tout leur cœur, tantôt à deviser agréablement, et tantôt à écouter les hilarantes improvisations du poète Abou-Nowas, que la beauté de l’adolescent faisait délirer à la limite du délire.

Avec le matin, les faux derviches se levèrent, et le khalifat, avant de s’en aller, mit sous le coussin sur lequel il était appuyé une bourse contenant, pour commencer, cent dinars d’or, les seuls qu’il eût sur lui en ce moment. Puis ils prirent congé de leur jeune hôte, en le remerciant par la bouche d’Abou-Nowas qui lui improvisa des vers exquis et se promit bien à part lui de ne point le perdre de vue.

Vers le milieu du jour, Grain-de-Beauté, à qui Zobéida avait remis les cent dinars trouvés sous le