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les mille nuits et une nuit

le syndic Schamseddîn, et ne passait jamais devant sa boutique sans le saluer jusqu’à terre en employant les formules les plus choisies. Et ce matin-là il ne manqua pas de rendre ces habituels égards au digne syndic qui ne put s’empêcher de lui rendre son salam d’un ton de fort méchante humeur. Et Sésame qui s’en aperçut lui demanda : « Quel désastre assez grand a-t-il pu survenir pour jeter un tel trouble en ton âme, ô notre vénérable syndic ? » Il répondit : « Tiens ! Sésame, viens t’asseoir ici et écoute mes paroles. Et tu verras si j’ai lieu de m’affliger. Songe, Sésame, que voilà déjà quarante ans que je suis marié, et je ne connais pas encore même l’odeur d’un enfant ! Et l’on a fini par me dire que le retard provenait de moi seul qui aurais, paraît-il, les œufs transparents et le suc trop clair et sans vertu ! Et l’on m’a conseillé de chercher chez les droguistes la mixture qui épaissit les œufs. Mais aucun droguiste n’en possède dans sa boutique. Tu me vois donc bien malheureux de ne pouvoir trouver de quoi donner la consistance nécessaire au suc le plus précieux de mon individu ! »

Lorsque le courtier Sésame eut entendu ces paroles du syndic, loin de s’en montrer étonné ou d’en rire comme les droguistes, il avança la main, la paume tournée en haut, et dit : « Mets un dinar dans cette main, et donne-moi ce bol de porcelaine. J’ai, moi, ton affaire ! » Et le syndic lui répondit : « Par Allah ! serait-ce possible ? Mais, ô Sésame, sache bien que si vraiment tu réussis dans cette affaire-là, ta fortune est faite ! Je te le jure sur la vie du Prophète ! Et voici pour commencer deux