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histoire de grain-de-beauté
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faire honneur à la nappe que j’ai tendue pour toi. » Mais le marchand s’écria : « Non ! par Allah, je ne veux plus ni manger ni boire, ni surtout accepter désormais quoi que ce soit de tes mains ! C’est toi seule la cause de notre stérilité ! Voilà quarante ans déjà écoulés depuis notre mariage, et cela sans aucun résultat ! Et tu m’as toujours empêché de prendre d’autres épouses, et, en femme intéressée que tu es, tu as profité de la faiblesse de ma chair, lors de notre première nuit de noces, pour me faire prêter serment de ne jamais introduire dans la maison une autre femme en ta présence, et de ne jamais même coucher avec une autre femme que toi ! Et moi, naïvement, je t’ai promis tout cela. Et le plus fort, c’est que j’ai tenu ma promesse et que toi, voyant ta stérilité, tu n’as pas eu la générosité de me délier de mon serment ! Mais, par Allah ! je jure maintenant que je préfère me couper le zebb plutôt que de te le donner désormais ou même de t’en caresser. Car je vois bien à présent que c’est peine perdue d’œuvrer avec toi ; et il y a autant à gagner à enfoncer mon outil dans un trou de rocher qu’à essayer de féconder une terre aussi sèche que la tienne ! Oui ! par Allah, c’est autant de foutreries perdues que celles si généreusement éparpillées par moi dans ton abîme sans fond ! »

Lorsque l’épouse du syndic eut entendu ces paroles plutôt vives, elle vit la lumière se changer en ténèbres devant son visage, et du ton le plus aigre qu’elle pût prendre dans sa colère, elle cria à son époux le syndic : « Ah ! vieux refroidi ! Parfume donc ta bouche avant de parler ! Le nom d’Allah sur moi et autour de moi ! Préservée sois-je de toute laideur