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histoire de bel-heureux…
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Comme elle achevait ces mots le khalifat entra. Il s’avança vers Belle-Heureuse en souriant avec bonté, s’assit à côté d’elle et lui dit : « Lève le voile de ton visage, ô jeune fille ! » Mais Belle-Heureuse, au lieu de se découvrir le visage, fut terrifiée à cette seule idée et ramena complètement l’étoffe jusqu’au-dessous de son menton, d’une main tremblante. Et le khalifat ne voulut point s’offusquer d’une action si extraordinaire et dit à Sett Zahia : « Je te confie cette jeune fille, et j’espère que dans quelques jours tu l’auras habituée à toi et encouragée et rendue moins timide. » Puis il jeta encore un regard sur Belle-Heureuse et ne put voir, hors des étoffes dont elle était étroitement drapée, que la jointure de ses fins poignets. Mais cette seule vue suffit pour la lui faire aimer à l’extrême : des poignets aussi admirablement moulés ne pouvaient appartenir qu’à une parfaite beauté ! Et il se retira.

Alors Sett Zahia emmena Belle-Heureuse et la conduisit au hammam du palais, et la revêtit après le bain de robes fort belles et piqua dans ses cheveux plusieurs rangs de perles et de pierreries ; puis elle lui tint compagnie le reste de la journée, en essayant de l’habituer à elle. Mais Belle-Heureuse, bien que fort confuse des égards que lui témoignait la sœur du khalifat, ne pouvait arriver à tarir ses larmes et ne voulait pas non plus révéler la cause de ses peines. Car elle se disait que cela ne changerait guère sa destinée. Elle garda donc pour elle seule l’acuité de sa douleur et continua à se consumer le jour et la nuit, si bien qu’au bout de peu de temps elle tomba gravement malade ; et l’on désespéra de la sauver,