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les mille nuits et une nuit

rante, les belles-lettres et la poésie, le jeu des instruments à cordes et à percussion. Et elle était devenue tellement habile dans l’art du chant, qu’elle savait plus de quinze modes différents de chanter et qu’elle pouvait sur un seul mot du premier vers d’une chanson prolonger pendant plusieurs heures, et même toute une nuit, des variations infinies qui ravissaient par leurs rythmes et leurs tremblements.

Aussi que de fois Bel-Heureux et son esclave Belle-Heureuse ne venaient-ils pas, aux heures chaudes, s’asseoir dans leur jardin, sur le marbre nu autour du bassin, où la fraîcheur de l’eau et de la pierre les pénétrait de délices. Là ils mangeaient des pastèques exquises à la chair fondante et légère, et des amandes et des noisettes et des grains torréfiés et salés et bien d’autres choses admirables. Et ils s’interrompaient pour respirer des roses ou des jasmins ou pour se réciter des poèmes charmants. Et c’est alors que Bel-Heureux priait son esclave de préluder ; et Belle-Heureuse prenait sa guitare aux cordes doubles dont elle savait tirer des sons à nuls autres pareils. Et tous deux chantaient des couplets alternés dont ceux-ci entre mille merveilles :

— Il pleut des fleurs et des oiseaux, adolescente ! Allons avec le vent vers la chaude Baghdad aux dômes roses !

— Non, mon émir ! Restons encore dans le jardin sous le flamboiement des palmes d’or et, les mains à la nuque, ô délice ! rêvons…

— Viens, adolescente ! Il pleut des diamants sur les feuilles bleues et la courbe des rameaux est belle sur