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les mille nuits et une nuit

Alors Kamaralzamân entra chez le jardinier et lui trouva le visage fort pâle, bien qu’empreint d’une grande sérénité. Il lui demanda de ses nouvelles et apprit ainsi le mal dont souffrait son ami ; et, malgré les paroles que le malade lui disait pour le rassurer, il ne laissa pas d’être fort inquiet. Il lui fit prendre diverses décoctions d’herbes vertes, mais sans grand résultat. Puis il lui tint compagnie toute la journée, elle veilla durant la nuit, et put voir de la sorte le mal s’aggraver. Aussi, avec le matin, le bon jardinier qui avait à peine eu la force de l’appeler à son chevet, lui prit la main et lui dit : « Kamaralzamân, mon fils, écoute ! Il n’y a d’autre Dieu, qu’Allah ! Et notre seigneur Mohammad est l’envoyé d’Allah ! » Puis il expira.

Alors Kamaralzamân fondit en larmes et resta longtemps assis à pleurer, à côté. Il se leva ensuite, lui ferma les yeux, lui rendit les derniers devoirs, lui confectionna un linceul blanc, creusa la fosse et mit en terre le dernier fils musulman de ce pays devenu mécréant. Et alors seulement il songea à aller s’embarquer.

Il acheta quelques provisions, ferma la porte du jardin, prit la clef avec lui, et courut en hâte au port, alors que le soleil était déjà bien haut ; mais ce fut pour voir le navire, toutes voiles dehors, emporté par le vent favorable vers la haute mer.

La douleur de Kamaralzamân, à cette vue, fut extrême ; mais il n’en fit rien paraître pour ne pas faire rire à ses dépens la canaille du port ; et tristement il reprit le chemin du jardin dont il était devenu, par la mort du vieillard, le seul héritier et le seul propriétaire. Aussi, une fois arrivé dans la