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histoire de karamalzamân avec boudour
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Mais je retourne, moi, au milieu des humains féroces, et ces lois, je ne saurais les oublier sous peine d’être dévoré ! Cet or, ô mon père, t’appartient donc en toute certitude puisque la terre est à toi après Allah ! Mais, si tu veux, partageons ! Je prendrai la moitié, et toi l’autre moitié. Sinon, je n’en toucherai absolument rien ! »

Alors le vieux jardinier répondit : « Mon fils, ma mère m’enfanta ici même il y a quatre-vingt-dix ans, puis elle est morte ; et mon père est mort également. Et l’œil d’Allah a suivi mes pas et je grandis à l’ombre de ce jardin et au bruit du ruisseau natal. J’aime ce ruisseau et ce jardin, ô mon enfant, et ces murmurantes feuilles et ce soleil et cette terre maternelle où mon ombre en liberté s’allonge et se reconnaît, et la nuit sur ces arbres la lune qui me sourit jusqu’au matin. Tout cela me parle, ô mon enfant ! Je te le dis pour que tu saches la raison qui me retient ici, qui m’empêche de partir avec toi vers les pays musulmans. Je suis le dernier musulman de ce pays où vécurent les aïeux. Que mes os y blanchissent donc, et que le dernier musulman meure la face tournée vers le soleil qui éclaire une terre maintenant immonde, souillée qu’elle est par les fils barbares de l’obscur Occident ! »

Ainsi parla le vieillard aux tremblantes mains. Puis il ajouta :

« Pour ce qui est de ces vases précieux qui te préoccupent, prends, puisqu’ainsi tu le désires, les dix premiers et laisse les dix autres dans ce caveau. Ils seront la récompense de celui qui mettra en terre le linceul où je dormirai.