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les mille nuits et une nuit

garder cet air affligé qui m’afflige moi-même ! Et pour t’aider à te distraire, je vais tout de suite faire venir les chanteuses de mon palais et les plateaux chargés de fruits et de boissons ! »

« Et aussitôt entrèrent les joueuses d’instruments et les chanteuses ; et les esclaves arrivèrent chargés des grands plateaux pesants de tout ce qu’ils contenaient. Et lorsque tout fut prêt, le khalifat, assis à côté de Schamsennahar, qui se sentait de plus en faible malgré tant de bonté, ordonna aux chanteuses de préluder. Alors l’une d’elles, au son des luths maniés par les doigts de ses compagnes, commença ce chant :

« Ô larmes, vous trahissez les secrets de mon âme, et m’empêchez de garder pour moi seule une douleur cultivée en silence !

J’ai perdu l’ami qu’aimait mon cœur… »

« Mais tout d’un coup, avant que la strophe chantée n’eût pris fin, Schamsennahar poussa un faible soupir et tomba à la renverse. Et le khalifat, affecté à l’extrême, se pencha vivement vers elle, la croyant seulement évanouie ; mais il la releva morte !

« Alors il jeta loin de lui la coupe qu’il tenait et renversa les plateaux et, comme nous poussions des cris effroyables, il nous fit toutes partir, après nous avoir ordonné de briser les luths et les guitares du festin ; et il ne garda que moi seule dans la salle. Il prit alors Schamsennahar sur ses genoux et se mit à pleurer sur elle toute la nuit, en m’ordonnant de ne laisser entrer personne dans la salle.