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les mille nuits et une nuit

solitude qui commence à me peser ! « Et sitôt pensé, sitôt fait : il s’avança jusqu’au pied de l’arbre où se tenait le corbeau, pour pouvoir se faire mieux entendre, et après les salams les plus profondément sentis, il lui dit : « Ô mon voisin, tu n’ignores pas que tout bon musulman a deux mérites auprès de son voisin musulman : le mérite d’être musulman et le mérite d’être le voisin ! Or, je te reconnais sans hésitation ces deux mérites vis-à-vis de moi et, de plus, je me sens là, en pleine poitrine, saisi par l’attraction invincible de ta gentillesse, et je me découvre des dispositions spontanées de fraternelle amitié à ton égard ! Et toi, ô corbeau, que sens-tu à mon égard ? »

À ces paroles, le corbeau éclata de rire et tellement qu’il faillit dégringoler de l’arbre. Puis il dit au renard : « En vérité, ma surprise est extrême ! Et depuis quand, ô renard, cette amitié insolite ? Et depuis quand la sincérité est-elle entrée dans ton cœur, alors qu’elle n’avait jamais été que sur le bout de la langue ? Et depuis quand des races aussi différentes que les nôtres peuvent-elles fusionner si parfaitement, — toi, de la race des animaux, et moi, de la race des oiseaux ! Et surtout, ô renard, pourrais-tu, puisque tu es si éloquent, me dire depuis quand ceux de ta race ont cessé d’être les mangeurs, et ceux de ma race les mangés ?… Ça t’étonne ? Il n’y a vraiment pas de quoi ! Allons ! renard, vieux malin, remets toutes tes belles sentences dans ta besace, et dispense-moi de cette amitié qui n’a pas fait ses preuves ! »

Alors le renard lui dit : « Ô judicieux corbeau, tu raisonnes parfaitement ! mais sache bien que rien n’est impossible à Celui qui a formé les cœurs de ses