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les mille nuits et une nuit

brise et plus agréable et plus pure que l’eau de roche, elle chanta :

« Les victimes de tes yeux, ô dure bien-aimée, sais-tu leur nombre ? Les flèches détachées de tes regards, et qui répandent le sang vif des cœurs, sais-tu leur nombre ?

Mais ô bienheureux les cœurs qui souffrent de tes yeux ! et mille fois heureux tes esclaves d’amour ! »

Et le chant fini, elle se tut. Alors, d’une voix plus lente, l’une des jeunes filles qui jouaient des instruments continua en langue grecque par une chanson incomprise de Scharkân. Et sa jeune maîtresse répondait, de temps en temps, dans la même tonalité. Et qu’il était doux, ce chant alterné et plaintif qui semblait sortir des flancs mêmes des mandores ! Et la jeune femme dit à Scharkân : « Ô musulman, as-tu compris notre chanson ? » Il répondit : « En vérité ! je n’ai point compris ; mais le son seul et l’harmonie m’en ont ému extrêmement, et l’humidité des dents souriantes, et la légèreté des doigts sur les instruments m’ont ravi à l’infini ! » Elle sourit et dit : « Mais alors, ô Scharkân, si je te disais un chant arabe, que ferais-tu, que ferais-tu ? » Il répondit : « Je perdrais certainement ce qui me reste de raison ! » Alors elle changea le ton et la clef de son luth, le pinça un instant, et chanta ces paroles du poète :

« Le goût de la séparation est plein d’amertume. Aussi, est-il encore moyen de patienter ?

Trois choses à mon choix on a offertes : l’éloigne-