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les mille nuits et une nuit

Lorsque Daoul’makân eut entendu ces paroles, il fut très affecté et s’écria : « Et quel est l’homme qui osera m’empêcher de me chanter à moi-même les poèmes qui me plaisent ? Je veux chanter tous les vers que j’aime, et il arrivera ce qui arrivera ! Et, d’ailleurs, qu’ai-je à craindre, maintenant que nous sommes tout proches de mon pays ; rien désormais ne saurait me troubler ! » Alors le pauvre chauffeur lui dit : « Je vois bien maintenant que tu veux absolument te perdre ! » Il répondit : « Il faut absolument que je chante ! » Le chauffeur dit : « Ne m’oblige pas à me séparer de toi, car je préfère m’en aller plutôt que de voir t’arriver du mal ! Oublies-tu, mon enfant, que voilà déjà un an et demi que tu es avec moi, et que jamais tu n’eus rien à me reprocher ? Pourquoi veux-tu maintenant me forcer à m’en aller ? Songe que tout le monde ici est harassé de fatigue et dort tranquillement. De grâce, ne va pas nous troubler avec tes vers, qui, d’ailleurs, je le reconnais, sont de toute beauté ! » Mais Daoul’makàn ne put se retenir davantage, et, comme la brise au-dessus d’eux chantait dans les palmes touffues, de toute sa voix il clama :

« Ô temps ! où sont les jours où nous étions les favoris du destin, où nous étions réunis dans la demeure chérie, dans la plus adorable des patries ?

Ô temps !… ? mais que tout cela est passé ! Car nous eûmes des jours pleins de rires et des nuits pleines de sourires !

Ah ! où sont les jours où s’épanouissait Daoul’makân, à côté d’une fleur nommée Nôzhatou’zamân !… »