Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 2, trad Mardrus, 1916.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que, le soir arrivé, ils revenaient chez eux, ils rencontrèrent sur leur chemin un bossu à l’aspect si drôle qu’il chassait toute mélancolie, faisait rire l’homme le plus triste et éloignait tout chagrin et toute affliction. Aussitôt le tailleur et son épouse s’approchèrent du bossu, s’amusèrent beaucoup de ses plaisanteries et tellement qu’ils l’invitèrent à les accompagner à leur maison pour qu’il fût leur hôte cette nuit-là. Et le bossu se hâta de faire à cette invitation la réponse qu’il fallait, et se joignit à eux et arriva avec eux à la maison. Là, le tailleur quitta un instant le bossu pour courir au souk acheter, avant que les marchands n’eussent fermé leurs boutiques, de quoi faire honneur à son invité. Il acheta du poisson frit, du pain frais, des limons et un gros morceau de halaoua[1] pour le dessert. Puis il s’en revint, mit toutes ces choses devant le bossu ; et tout le monde s’assit pour manger.

Pendant qu’on mangeait ainsi gaiement, la femme du tailleur prit un gros morceau de poisson entre ses doigts et, par manière de plaisanterie, le fourra tout entier dans la bouche du bossu, lui couvrit la bouche de sa main pour empêcher qu’il rejetât le morceau et lui dit : « Par Allah il faut absolument que tu avales cette bouchée d’un seul coup et sans arrêt, sinon je ne te lâche pas. »

Alors le bossu se mit à faire de grands effort, mais il finit par avaler la bouchée. Malheureusement pour lui, il était de son destin qu’une grosse arête se

  1. Halaoua : pâte blanche faite avec de l’huile de sésame, du sucre, des noix, etc., sous forme de grands pains hémisphériques.