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intérieur ! » et autres aménités semblables. Mais Mârouf, affamé, continuait à manger consciencieusement, sans souffler mot ; ce qui finit par porter à son paroxysme la fureur de l’épouse, qui se leva soudain en hurlant comme une possédée, et, lui jetant à la figure tout ce qui lui tomba sous la main, s’en alla se coucher en l’invectivant, dans son sommeil, jusqu’au matin.

Et Mârouf, après cette nuit mauvaise, se leva de très bonne heure ; et, s’habillant à la hâte, il se rendit à sa boutique, dans l’espoir que la destinée le favoriserait ce jour-là. Et voici qu’au bout de quelques heures deux hommes de police vinrent l’arrêter, de par l’ordre du kâdi, et le traînèrent, à travers les souks, les bras liés derrière le dos, jusqu’au tribunal. Et Mârouf, à sa grande stupéfaction, trouva, devant le kâdi, son épouse qui avait le bras entouré de bandages, la tête enveloppée d’un voile ensanglanté, et qui tenait entre ses doigts une dent cassée. Et le kâdi, sitôt qu’il eut aperçu le terrifié savetier, lui cria : « Avance par ici ! Ne crains-tu donc pas Allah Très-Haut, pour faire subir tant de mauvais traitements à cette pauvre jeune femme, ton épouse, la fille de ton oncle, et lui briser si cruellement le bras et les dents ? » Et Mârouf qui, dans sa terreur, eût souhaité voir la terre s’entr’ouvrir et l’engloutir, baissa la tête avec confusion, et garda le silence. Car, dans son amour de la paix et dans son désir de sauvegarder son honneur et la réputation de sa femme, il ne voulut pas charger la maudite, et l’accuser et dévoiler ses méfaits, en appelant, au besoin, comme témoins, tous les voisins. Et le kâdi, con-