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les mille nuits et une nuit

précipita sur lui et l’attrapa, à pleines mains, par la barbe, et se suspendit de tout son poids aux poils de cette barbe, en criant à plein gosier : « À mon secours, ô Musulmans ! Il m’assassine ! »

Et, à ses cris, les voisins accoururent, et intervinrent entre les deux, et eurent grand’peine à délivrer la barbe du malheureux Mârouf des doigts crispés de sa calamiteuse épouse. Et ils virent son visage ensanglanté, sa barbe souillée et sa dent cassée, sans compter les poils de barbe que lui avait arrachés cette femme furieuse. Et, connaissant déjà de longue date sa conduite indigne à l’égard du pauvre homme, et voyant d’ailleurs les preuves qui démontraient péremptoirement qu’il était, une fois de plus, la victime de cette calamiteuse, ils la sermonnèrent et lui tinrent des discours raisonnables qui eussent rempli de honte et corrigé à jamais toute autre qu’elle. Et, l’ayant ainsi blâmée, ils ajoutèrent : « Nous tous nous mangeons d’habitude avec plaisir la kenafa apprêtée au miel de canne à sucre ; et nous la trouvons bien meilleure que celle préparée au miel d’abeilles ! Où est donc le crime qu’a commis ton pauvre mari, pour mériter tous ces mauvais traitements que tu lui infliges, ainsi que la cassure de sa dent, et sa barbe arrachée. » Et ils la maudirent, à l’unanimité, et s’en allèrent en leur voie.

Or, dès qu’ils furent partis, la terrible mégère revint vers Mârouf, qui était, durant toute cette scène, resté silencieux dans son coin, et lui dit, d’une voix basse et haineuse d’autant : « Ah ! c’est comme ça que tu ameutes contre moi les voisins ! Ça va bien. Seulement tu verras ce qui va t’arriver. » Et elle