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histoire splendide du prince diamant
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« Alors, cette femme de mauvaise fortune se leva comme un petit chat, et approcha de mes lèvres une tasse dont elle versa le contenu dans ma bouche. Et moi j’eus la force de ne point me trahir ; mais, me tournant un peu du côté du mur, comme si je continuais à dormir, je crachai sans bruit dans l’oreiller le bang liquide qu’elle m’avait versé. Et elle, ne doutant pas de l’effet du bang, ne se gêna plus avec elle-même pour aller et venir dans la chambre, et se laver, et s’arranger, et se mettre du kohl aux yeux, et du nard dans les cheveux, et du surma indien sur les sourcils, et du missi également indien sur les dents, et se parfumer à l’essence volatile de roses, et se couvrir de bijoux, et se mettre en marche comme si elle était ivre.

« Alors, ayant attendu qu’elle fût sortie, je me levai de mon lit, et, jetant sur mes épaules une abaya à capuchon, je la suivis, pieds nus, à pas dérobés. Et je la vis se diriger vers les écuries, et choisir un cheval aussi beau et léger que celui de Schirîn. Et elle monta dessus, et partit. Et je voulus aussi monter à cheval pour la suivre ; mais je pensai que le bruit des sabots arriverait à l’oreille de cette épouse éhontée, et qu’elle serait ainsi avisée de ce qui devait lui rester caché. Aussi, serrant ma ceinture autour de mes reins à la manière des saïs et des messagers, je me mis à courir sans bruit derrière le cheval de mon épouse, livrant mes jambes au vent. Et quand je trébuchais, je me relevais ; et quand je tombais, je me relevais, sans perdre courage. Et je continuai ainsi ma course, me meurtrissant les pieds aux cailloux de la route.