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les mille nuits et une nuit

jetai le mouchoir de la sécurité, en lui disant : « Dis-moi la vérité, et ne me cache rien, sinon le pal ! » Alors il dit : « Sache, ô notre maître, que toutes les nuits, sans y manquer, la reine notre maîtresse, revêtue de ses habits royaux, ornée de ses parures et de ses joyaux, semblable à Balkis au milieu de ses atours, vient à l’écurie, choisit un des chevaux particuliers de notre maître, le monte, et va se promener. Et quand, vers la fin de la nuit, elle revient, le cheval n’est plus bon à rien, et tombe sur le sol, exténué. Et voilà longtemps que dure cet état de choses dont nous n’avons jamais osé aviser notre maître le sultan ! »

« Or moi, en apprenant ces détails étranges, je fus troublé en mon cœur, et mon inquiétude se fit tumultueuse, et les soupçons s’enracinèrent profondément dans mon esprit. Et la journée se passa de la sorte pour moi, sans que j’eusse un moment de calme pour juger les affaires du royaume. Et j’attendais la nuit avec une impatience qui faisait se détendre mes jambes et mes bras malgré moi. Aussi quand fut l’heure où d’ordinaire j’allais trouver mon épouse, la nuit, j’entrai chez elle et la trouvai déjà dévêtue et qui s’étirait les bras. Et elle me dit : « Je suis bien fatiguée et n’ai envie que de me coucher. Voici d’ailleurs le sommeil qui se répand sur mes yeux. Ah, dormons ! » Et moi, de mon côté, je sus dissimuler mon agitation intérieure, et, faisant semblant d’être encore plus exténué qu’elle, je m’étendis à ses côtés et, quoique je fusse bien éveillé, je me mis à respirer en ronflant, comme ceux qui dorment dans la taverne.