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les mille nuits et une nuit

que je n’osais point nier l’évidence, et me contentais de baisser la tête avec confusion.

Alors le kâdi, qui avait de bons sentiments et s’apitoyait sur mon état, dit à mon épouse, avant de rendre sa sentence : « Ô fille des gens de bien, tu es certainement dans ton droit, mais il t’appartient d’être miséricordieuse. » Et, comme elle s’emportait et tempêtait et ne voulait rien écouter ni entendre, le kâdi et les assistants se mirent à la prier, avec insistance, de me pardonner pour cette fois. Et, comme elle paraissait toujours impitoyable, ils finirent par la prier de suspendre simplement sa poursuite en divorce, pour qu’elle eût le temps de réfléchir sur le point de savoir si, en présence de l’unanimité des prières, il ne lui paraîtrait pas plus raisonnable de différer pour le moment sa demande, quitte à la reprendre une autre fois, en cas de besoin. Alors mon épouse, de guerre lasse, finit par dire : « Ça va bien, je consens à me réconcilier avec lui, mais à la condition expresse que le seigneur kâdi trouve réponse à une question que je lui poserai. » Et le kâdi dit : « Je veux bien. Pose la question, ô femme ! » Et elle dit : « Je suis d’abord un os ; puis je deviens un nerf ; puis je suis chair. Qui suis-je ? » Et le kâdi baissa la tête pour méditer. Mais il eut beau réfléchir en se caressant la barbe, il resta coi. Et il finit par se tourner vers mon épouse, et lui dit : « Ouallahi, aujourd’hui je ne saurais, étant fatigué de ma longue séance de justice, trouver la solution d’un pareil problème. Mais je te prie de revenir ici demain matin, et je te répondrai, ayant eu le temps de consulter mes livres de jurisprudence. »