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les mille nuits et une nuit

de haschich, et m’envolai vers le rêve et le plaisir tranquille. Et je me sentais parfaitement heureux ; et mon estomac était heureux, à cause de la pastèque ; et, à cause de la chaise rembourrée, également était bien heureux mon derrière, si longtemps sevré du plaisir des chaises.

Mais, ô mon seigneur le sultan, lorsque je rentrai chez moi, ce fut le fifre et la clarinette. Car, dès que je fus en sa présence, ma femme se leva vivement, et ramena son voile sur son visage, comme si, au lieu d’être son époux, je n’étais plus pour elle qu’un homme étranger, et, me regardant avec courroux et mépris, elle me cria : « Ô chien fils de chien, est-ce ainsi que tu tiens tes engagements ? Allons, suis-moi ! De ce pas, nous nous rendons chez le kâdi pour le divorce ! » Et moi, le cerveau encore grisé par le haschich, et le ventre encore alourdi par la pastèque, et le corps reposé d’avoir senti, après un si long temps, une chaise rembourrée sous mes fesses, j’essayai de payer d’audace, en niant mes trois forfaits. Mais je n’avais encore qu’ébauché le geste de la négation, que mon épouse me cria : « Musèle ta langue, ô proxénète ! Vas-tu oser nier l’évidence ? Tu pues le haschich, et mon nez te sent. Tu t’es gavé d’une pastèque, et j’en vois les traces sur tes vêtements. Et tu as, enfin, assis ton sale derrière goudronné sur une chaise, et j’en vois les marques sur ta robe, là où t’es assis, et où la paille a laissé des raies visibles. Donc, je ne suis plus rien pour toi, et tu n’es plus rien pour moi…