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les mille nuits et une nuit

d’huile, dont le couvercle était retiré, j’avais la tête basse et l’air contrit. Mais soudain je relevai la tête et m’écriai : « Par Allah ! je ne sais pas, mais je sens sortir de cette jarre-ci comme une odeur de sang ! » Et je regardai dans la jarre et y plongeai mon bras, et le retirai en disant : « Allah akbar ! bismillah ! » Et je ramenai de la sorte le paquet de vêtements tachés de sang qu’avait jeté dans cette jarre, avant de disparaître, l’adolescente ma maîtresse. Et il y avait là son voile, son mouchoir de tête, son mouchoir de sein, son caleçon, sa chemise, ses babouches et d’autres linges que je ne me rappelle pas, le tout sanglant.

À cette vue, le kâdi, comme l’avait prévu l’adolescente, parut confondu et plein de stupeur ; et il devint fort jaune de teint ; et ses jointures tremblèrent ; et il s’effondra sur le sol, sa tête précédant ses pieds, évanoui. Et moi, dès qu’il eut repris ses sens, je ne manquai pas de triompher de la tournure des événements, et je lui dis : « Hé bien, ya sidi El-Kâdi, qui d’entre nous est le menteur, et qui le véridique ? Louanges à Allah ! Me voici, je pense, justifié d’avoir perpétré le prétendu vol, de connivence avec la jeune femme ! Mais toi, qu’as-tu fait de ta sagesse et de ta jurisprudence ! Et comment, riche comme tu l’es, et nourri dans les lois, as-tu pris sur ta conscience de donner asile à une pauvre femme pour la trahir, en la volant et l’assassinant après l’avoir probablement violentée de la pire façon. C’est là, par ma vie ! un acte épouvantable dont il faut, sans retard, que j’instruise notre maître le sultan. Car je ne remplis pas mon devoir, en lui