Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 15, trad Mardrus, 1904.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
les mille nuits et une nuit

l’extrême par ce qu’elle contient de chants de fleurs et d’oiseaux, et par le grand enseignement dont ces poèmes m’ont enrichi. Ainsi donc, ô fille vertueuse et diserte de mon vizir, si tu as encore une ou deux ou trois ou quatre histoires comme celle-ci à me raconter, n’hésite pas à commencer. Car je sens mon âme, ce soir, apaisée et rafraîchie par tes paroles, et mon cœur gagné par ton éloquence ! » Et Schahrazade répondit : « Je ne suis que l’esclave de mon maître le Roi, et ses louanges sont au-dessus de mes mérites. Mais, puisque tu le désires, j’aimerais te narrer certains faits au sujet des femmes, des capitaines de police et d’autres choses semblables, mais j’ai bien peur que mes paroles n’offusquent ton esprit et ton amour de la belle morale par ce qu’elles auront d’un peu libre et osé. Car, ô Roi du temps, le peuple ignore d’ordinaire le langage discret, et ses expressions dépassent quelquefois les limites des convenances. Si donc tu veux passer outre, je passerai outre ; mais si tu veux que je me taise, je me tairai ! » Et le roi Schahriar dit : « Certes, Schahrazade, tu peux parler ! car rien ne saurait plus m’étonner de la part des femmes, et je sais qu’elles sont semblables à une côte tordue ; et il est notoire que lorsqu’on veut redresser une côte tordue, on la tord davantage ; et si on insiste, on la casse. Donc, parle sans réticence, car la sagesse n’habite plus loin de nous, depuis le jour où eut lieu la trahison de cette épouse maudite que tu connais ! » Et, ces derniers mots prononcés, le visage du roi Schahriar se rembrunit soudain, ses yeux se foncèrent, ses sourcils se froncèrent, son teint pâlit, et son état devint un mauvais état. Et tout cela rien qu’au souvenir évoqué de l’ancienne mésaventure. Aussi, voyant ce changement qui n’annonçait rien de rassurant, la petite Doniazade prit-elle soin aussitôt de s’écrier : « Ô ma sœur, de grâce ! hâte-toi de nous raconter ce que tu nous as annoncé au sujet des capitaines de police et des fem-