Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 15, trad Mardrus, 1904.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.
histoire de la jouvencelle…
171

J’ai reconnu ainsi que ni joies ni plaisirs ne demeurent, et que le monde est un grand vide bâti sur le vide. Je parle obscurément, mais je me comprends. Il est des choses qu’il est funeste d’expliquer.

J’ai donc oublié ce que mes semblables ont droit d’attendre de moi, et ce que j’ai droit d’attendre d’eux. J’ai abandonné ma famille, mes biens et mon pays. J’ai passé avec indifférence au-dessus des châteaux. J’ai choisi le vieux trou de la muraille. Je me suis préféré.

C’est pourquoi l’on m’appelle le maître de la sagesse. Hélas ! connaît-on la sagesse ?

« Et maintenant, si vous le voulez bien, ô mes maîtres et mes maîtresses, je vous dirai le Chant du Faucon.

« Le voici :

« C’est vrai, je suis taciturne. Je suis même bien sombre, quelquefois. Certes ! je ne suis point ce rossignol plein de fatuité, dont le chant continuel fatigue les oiseaux, et à qui l’intempérance de sa langue attire tous les malheurs.

Je suis fidèle aux règles du silence. La discrétion de ma langue est mon seul mérite, peut-être, et l’observation de mes devoirs, ma perfection, peut-être.

Emmené par les hommes en captivité, je reste réservé, et jamais je ne découvre le fond de ma pensée. Jamais on ne me verra pleurer sur les vestiges de mon passé. L’instruction, voilà ce que je recherche dans mes voyages.