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histoire de la jouvencelle…
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et, au crépuscule du matin et à celui du soir, je laisse échapper mon haleine odorante.

Ne me blâmez point, ô mes sœurs, si, pressée par les désirs, je confie ma passion au souffle du zéphyr. L’amante qui trahit son secret n’est pas coupable ; elle est vaincue par la violence de son amour.

Mais quand je suis bleue, je comprime mon ardeur pendant le jour, je supporte ma peine avec patience, et je n’exhale point l’odeur de mon cœur.

Même à ceux-là qui m’aiment, je ne réponds rien, quand la lumière offusque le mystère où je me plais ; et je ne leur manifeste point le secret de mon âme, et je ne trahis même pas ma présence par mon arôme.

Mais dès que la nuit m’a couverte de ses ombres, je décèle mes trésors à mes amis, et je me plains de mes maux à ceux qui souffrent les mêmes peines que moi.

Et lorsque, dans le jardin où sont assis mes amis, les coupes de vin font la ronde, je bois à mon tour dans mon propre cœur.

Alors, comme l’instant me paraît favorable, j’exhale mes émanations nocturnes, et répands un parfum aussi doux que la société d’un ami très aimé.

Alors aussi, si l’on recherche ma présence et que l’on me caresse délicatement, je cède avec empressement à l’invitation, sans me plaindre de ce que les cœurs durs m’ont fait souffrir.

Ah ! j’aime les ténèbres que les amants choisissent pour leur tête-à-tête, où l’amoureuse se pâme dans les bras tendus. J’aime les ténèbres qui me permettent d’exhaler au vent mes plaintes parfumées, d’ôter les voiles qui cachent ma nudité, et de présenter à mes sœurs sans parfum l’hommage de mon encens.