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les mille nuits et une nuit

voyant que mes fleurs, sur leurs petites tiges, ressemblent à une armée dont les voltigeurs, casqués d’émeraude, auraient orné de saphirs leurs lances, et adroitement enlevé avec ces lances les têtes de leurs ennemis.

« Et maintenant, si vous le voulez bien, ô mes maîtres et mes maîtresses, je vous dirai le Chant du Nénuphar. Le voici :

« Si craintive et pudique est ma nature que, ne pouvant me résoudre à vivre nu dans l’air, je fuis les yeux et me cache dans l’eau. Et, par ma corolle immaculée, je me laisse deviner plutôt que voir.

Que les amoureux écoutent avec avidité mes leçons, et qu’ils lisent avec moi de ménagements, et se comportent avec prudence !

Les lieux aquatiques sont mon lit de repos, car j’aime l’eau limpide et courante, et ne m’en sépare ni le matin ni le soir, ni l’hiver ni l’été.

Et, quelle chose extraordinaire ! tourmenté d’amour pour cette eau, je ne cesse de soupirer après elle, et, en proie à la soif brûlante du désir, je l’accompagne partout.

A-t-on jamais vu rien de pareil ! être dans l’eau, et se sentir dévoré par la soif la plus ardente.

Pendant le jour, sous les rayons du soleil, je déploie mon calice doré ; mais lorsque la nuit enveloppe la terre et s’étend sur les eaux, l’onde m’attire vers elle ;

Et ma corolle s’incline et, m’enfonçant dans le sein nourricier, je me retire au fond de mon nid de verdure et d’eau et je reviens à mes pensées solitaires.