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histoire de la jouvencelle…
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« … Et maintenant, si vous le voulez, ô mes maîtres et mes maîtresses, continua Tohfa, je vous dirai le Chant de la Rose. Le voici :

« Je suis celle qui vient en visite entre l’hiver et l’été. Mais ma visite est aussi courte que l’apparition du fantôme nocturne.

Hâtez-vous de jouir du court espace de ma floraison, et souvenez-vous que le temps est un glaive tranchant.

J’ai à la fois et la couleur de l’amante et l’habit de l’amant. J’embaume celui qui respire mon haleine, et je cause à la jeune fille qui me reçoit de la main de son ami une émotion inconnue.

Je suis un hôte qui n’a jamais été importun ; et celui qui espère me posséder longtemps est dans l’erreur. Je suis celle dont le rossignol est enamouré.

Mais, avec toute ma gloire, je suis, hélas ! de toutes mes sœurs la plus éprouvée. Partout où, jeune encore, je m’épanouis, un cercle d’épines me presse de toutes parts.

Flèches acérées elles répandent mon sang sur mes habits et les teignent d’une couleur vermeille. Je suis éternellement blessée.

Pourtant, malgré tout ce que j’endure, je reste la plus élégante des éphémères. On m’appelle l’Orgueil du matin. Brillante de fraîcheur, je suis parée de ma propre beauté.

Mais voici la main terrible des hommes. Elle me cueille du milieu de mon jardin de feuilles, pour la prison de l’alambic.

Alors mon corps est liquéfié et mon cœur est brûlé ;