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les mille nuits et une nuit

dans ce brusque mouvement, elle cassa son luth. Et elle pleura. Et Al-Rachid, ému à l’extrême, essuya ses larmes, et, d’une voix tremblante, lui demanda pourquoi elle pleurait, et s’écria : « Fasse Allah, ô Tohfa, que jamais une goutte de larme ne tombe d’un seul de tes yeux ! » Et Tohfa dit : « Que suis-je, ô mon seigneur, pour que tu veuilles baiser ma main ? Veux-tu donc qu’Allah et Son Prophète — sur Lui la prière et la paix ! — me punissent de cela, et fassent s’évanouir ma félicité ? Car personne au monde n’a atteint un honneur semblable ! » Et Al-Rachid fut content de sa réponse, et lui dit : « Maintenant que tu sais, ô Tohfa, quel rang véritable tu occupes dans mon esprit, je ne recommencerai plus le geste qui t’a émue. Rafraîchis donc tes yeux, et sache bien que je n’aime que toi, et que je mourrai en t’aimant. » Et Tohfa tomba à ses pieds, et lui entoura les genoux de ses bras. Et le khalifat la releva et l’embrassa, et lui dit : « Toi seule es reine pour moi. Et tu es au-dessus même de la fille de mon oncle, sett Zobéida. »

Or, un jour, Al-Rachid était allé à la chasse, et Tohfa se trouvait seule dans son pavillon, assise sous un chandelier d’or qui l’éclairait de ses chandelles parfumées. Et elle lisait dans un livre. Et soudain une pomme de senteur tomba sur ses genoux. Et elle leva la tête et vit, au dehors, la personne qui avait lancé la pomme. Et c’était sett Zobéida. Et, au plus vite, Tohfa se leva et, après les salams respectueux, dit : « Ô ma maîtresse, les excuses ! Par Allah ! si j’avais été libre de mes mouvements, je serais allée tous les jours te prier d’agréer mes services d’esclave !