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histoire de la jouvencelle…
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accords édéniques, ne put s’empêcher de pousser un grand cri, de saisissement à la fois et d’admiration. Et la jeune chanteuse Tohfa entendit le cri, et accourut, tenant encore le luth dans ses bras. Et elle trouva, appuyé contre le mur du vestibule, une main sur le cœur, son maître Ishak si pâle et si ému qu’elle jeta le luth et courut à lui, pleine d’anxiété, en s’écriant : « Sur toi les grâces du Très-Haut, ô mon seigneur, et la délivrance de tout mal. Puisses-tu n’avoir aucun malaise ou dérangement ! » Et Ishak, reprenant ses esprits, demanda à voix basse : « Serais-ce toi, ô Tohfa, qui jouais et chantais dans la salle vide ? » Et la jeune fille se troubla et rougit et ne sut quelle réponse faire à une demande dont elle ne comprenait point le motif. Mais comme Ishak insistait, elle eut peur de le contrarier en se taisant davantage, et répondit : « Hélas ! ô monseigneur, c’était ta servante Tohfa ! » Et Ishak, entendant cela, baissa la tête et dit : « Voilà le jour de la confusion ! Ô Ishak à l’âme orgueilleuse, qui te croyais le premier de ton siècle pour la voix et l’harmonie, tu n’es plus qu’un esclave sevré de tout talent, en présence de cette jeune fille du ciel ! »

Et, à la limite de l’émotion, il prit la main de la jouvencelle et la porta à ses lèvres avec respect, puis à son front. Et Tohfa se sentit défaillir, et trouva tout de même la force de retirer vivement sa main, en s’écriant : « Le nom d’Allah sur toi, ô mon maître ! Depuis quand le maître baise-t-il la main de l’esclave ? » Mais il répondit, en toute humilité : « Tais-toi, ô Chef-d’œuvre des Cœurs, ô la première des créatures, tais-toi ! Ishak a trouvé son maître,