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histoire de la jouvencelle…
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l’appuya contre son sein comme une sœur fait de son jeune frère, et en fit jaillir un prélude qui ravit les esprits. Et, aussitôt après, elle attaqua sur un autre ton les cordes dociles, et chanta ces vers du poète :

« Soupire, ô matin, afin que l’un de tes soupirs flottants puisse s’égarer jusqu’à la terre de l’aimée. Et porte mon salut parfumé à toute la chère et brillante troupe.

Et dis à mon amie que j’ai laissé mon cœur en gage à son amour. Car mon désir est plus fort que tout ce qui décourage d’ordinaire les amoureux.

Dis-lui qu’elle a d’un coup mortel frappé mon cœur et mes yeux. Mais ma passion n’a fait que grandir et s’exalter.

Et mon esprit, lacéré chaque nuit par l’amour, a désappris à mes paupières l’art de se faire obéir du sommeil. »

Quand la jeune fille eut achevé de chanter ces vers, le khalifat ne put s’empêcher de s’écrier : « Maschallah sur ta voix et sur ton art, ô bénie ! Tu as excellé, en vérité. » Mais il se souvint tout à coup de son déguisement, et n’en dit pas plus long, craignant de se faire reconnaître. Et Ishak prit à son tour la parole pour complimenter la jeune fille. Mais il n’eut pas plutôt ouvert la bouche, que l’harmonieuse jouvencelle se leva vivement de son siège et vint à lui et lui baisa respectueusement la main, disant : « Ô mon maître, les bras s’immobilisent en ta présence, et les langues, à ta vue, se taisent, et